Tout a commencé avec cette après-midi de rêve, ou plutôt avec le retour de celle-ci à une dure réalité qui est celle à laquelle mon âge me force de subir, la vie quotidienne et familiale, avec entre autres ma sœur, qui m’a fait part de son avis sur mes amies comme se plaît à insister ma mère. Clé ressemble à une morte (ce qui est tout à fait baudelairien soit dit en passant) et ne dit mot. Et non elle ne dit mot aux gens qui n’en valent pas la peine. C’est tout. Nous sommes ensuite parti vers le bout du monde, Cury, la maison de ma mère grand, où le téléphone était coupé, sans doute parce que le fermier faisait sécher son linge sur la ligne…Nous nous rendons à la messe, bien qu’A. soit protestante elle nous accompagne mais mon Dieu quand me lâchera-t-elle et voilà que le prêtre rentre et je jette un bref coup d’œil à l’assemblée : moyenne d’âge soixante quinze ans au mieux, trois hommes dont moi. Heureusement en rentrant j’apprends que mes parents oncles et tantes s’en vont à un méchoui à deux cents kilomètres de là, et que donc c’est Lord E. qui accomplit son rôle de gendre idéal en faisant une délicieuse côte de bœuf au barbecue. On est resté ahuris jusqu’à onze heures du soir à écouter les bruits de la campagne.
C’est seulement après que j’ai découvert BonneMaman en très très grande forme. Il y a eu les quatre scarabées échangistes qui tombaient du tilleul dans le feu de l’action, les escargots qui se mariaient, mes chaussures qu’elle trouvait un peu homo (sic) bien que superbes, un petit-déjeuner mémorable où elle n’a pris qu’un oignon cru, et puis sa conversation avec l’Allemande. Un soir elle lui a chanté une vieille chanson de 1940 qui dit vous savez ‘ La nuit venue tous les hommes sont seuls ’ mais heureusement l’accent allemand de BonneMaman a empêché un pugilat intergénérationnel et multi kulti. Elle allait encore mieux quand elle a appris que ma taupine de sœur intégrait l’école de ses rêves, elle m’a alors dit Il faut boire beaucoup ! car BonneMaman a dans cette maison de campagne paumée des verres à porto, à liqueur, à whisky, des cendriers, mais pas de grille-pain…Elle m’a d’ailleurs confié tu sais le bruit des glaçons dans le verre de whisky ça me fait la même chose que Mozart. Ensuite elle a été grandiose un soir glorieux et tranquille tout à fait cléïen comme je les aime où elle m’a dit tu sais ch. j’aime beaucoup les nuages d’ailleurs toi qui est poète tu devrais les aimer aussi. Parfaite. Alors elle m’a parlé de Verlaine, elle connaît Green par cœur, on a aussi parlé de Rousseau, mais attention en tant que romancier et non philosophe ni autobiographe, elle m’a avoué ses expériences de spiritisme quand elle avait mon âge, l’esprit s’appelait Lipoto, et puis elle m’a dit combien elle aimait le porto aussi.
Il y a eu un grand moment quand nous sommes allés au Petit poucet, qui est un restaurant d’altitude (442 mètres au-dessus de la mer) qui ne propose pas de menu et où tout est fait maison. BonneMaman a horreur de ce resto. Déjà quand elle arrive elle dit avec autorité au gérant euh dites moi vous allez couper cette musique là parce que c’est assez pénible. La dite musique, c’est un peu comme Joe Dassin, mais en pire, vous savez, des disques de guinguette chantés par des paysans à l’avenir perdu d’avance. Là elle s’est retenu, et s’est contentée de se remaquiller (CH et YSL) pour montrer son impatience, après avoir râlé sur la table qu’on nous avait attribuée. Bien sûr elle a demandé trois fois tout et son contraire pour surveiller sa ligne d’une part et rendre fou le gérant d’autre part. Elle m’a dit oui je parle toujours à mes femmes de ménage le dos tourné parce qu’elles sont trop moches mais là malheureusement je ne peux pas. Extraordinaire. Il y a aussi eu le dialogue savoureux sur la musique entre ma mère et la sienne, BonneMaman :
— Ah c’est Piaf !
— Cette pauvre femme folle…
— Non je dis « C’est Piaf ! »
— Oui oui c’est bien ce que je dis !
Et puis aussi quand elle m’a parlé d’A. dansant la valse ah oui elle doit bien danser les grosses personnes dansent bien tu comprend elles tournent comme des toupies un peu tu vois ? ou encore quand on lui a apporté un cornet de glace et qu’elle s’est écrié mais je ne peux pas lécher !.
Le lendemain on a débattu, dès le petit-déjeuner, sur Proust vs. Shakespeare, et moi qui accuse Shakespeare d’être vicieux et là BM me dit ha non parce que dans Shakespeare un bon viol un bon coup (sic !) c’est pas vicieux tandis que Proust il tourne autour du pot, il pédale dans la semoule, et en avant !
J’ai oublié le reste, elle en dit tellement, et j’ai la flemme de mettre des photos de mes vacances sur ce blog vous n’avez qu’à regarder l’album sur facebook qui correspond à cet article.