Il faut pourtant achever cette lettre.Depuis ce matin, j'erre dans le brouillard de mes pensées, et me dit qu'il me faut absolument l'achever. je ne pas réduire à néant les efforts de Lord Nudle, le pauvre Lord Nudle qui doit se sentir bien seul dans son cimetière. Je me souviens de son arrivée chez Lady de Sphænx, une entrée sur la scène du Londres mondain fracassante, un regard qui aimantait le votre, un regard de velours secret, vicieux presque, qui semblait voler dans toute la pièce. C'était en 1857, il avait alors son habit de la dernière mode, qui lui donnait la silhouette d'un corbeau, comme on en voit à la nuit tombée sur le pont de Hinglestone, quand plus personne ne traverse la rivière. Il portait de nombreux bijoux, sur les mains, et à son gousset, comme un dandy, pourtant déjà âgé, mais qui cependant inspirait maints jeunes Lords de la jeunesse dorée londonnienne. C'était une arrivée unique, car bizarrement, il était venu faire ses adieux au monde, comme s'il devait nous dire une dernière fois quelque chose. ce n'est qu'à mon réveil, le lendemain matin, que j'appris qu'il s'était jeté du pont. Et je compris pourquoi. Il venait de vendre son extravagante propriété, dans la campagne environnante, celle où il s'enfermait dès le mois de novembre, décrétant que la splendeur de l'hiver n'était un spectacle esthétique que pour le peuple, qu'il méprisait avec une élégance qui lui était propre. Son manoir avait le génie des lieux mystérieux, dont il raffolait depuis son adolescence, quand il prenait un livre ouvert au hasard de son humeur, dans le bureau de son père. Il sentait alors, tapi dans une moelleuse bergère, qu'un rideau séparait du reste de la pièce, ne laissant qu'une mince ligne de lumière caresser son épaule, que sa vie ne devrait être qu'une espèce de roman parfait, comme un chef d'?uvre, dont il serait un héros unique et vivant.Mais un jour qu'il rêvassait ainsi, il eut soudain besoin d'autres rêves, et d'autres illusions. Il alla machinalement dans le grenier, déserté depuis longtemps par la famille. Là je serai tranquille pensait-il. En effet, l'obscurité du grenier dégoûtait les autres habitants de la maison, et l'absence de fenêtres exaspérait sa s?ur. Là, seul, il s'imaginait devant un grand miroir que son reflet était celui d'un chat. Ç'avait été son rêve, depuis toujours, celui de se mouvoir élastique et précis entre les gens, les membres de cette société qu'en fait il haïssait. C'était pour ça qu'il l'avait quitté.
Atelier d'écriture